La première fois
La premère fois ?
Elle ne s'en souvient plus très bien...
Mais elle a son carnet, son journal, où tout est consigné,
C'est un carnet épais, d'un côté, son journal qu'elle tient tous les jours, même si l'écriture est de moins en moins lisible ; de l'autre, il a les informations essentielles, celles dont elle peut avoir besoin lorsqu'elle ne sait plus.
Elle lit :
C'était il y a quelques mois...en février, il faisait froid dehors.
Philippe et elle avaient décidé d'aller acheter un lit d'enfant pour les vacances qui approchaient.
Lucas, leur petit-fils avait grandi et ce n'était plus très confortable pour lui, de dormir dans le berceau des enfants.
Il fallait passer au petit lit à barreau.
Ils étaient tous les deux très excités, le premier petit lit des petits enfants !!
Comme le temps avait passé vite !
Tout d'un coup, Geneviève saisit le bras de Philippe et se retient à lui.
Instinctivement, il la soutient, il voit son regard tourner, se brouiller.
Il s'affole, crie pour la réveiller, la sortir de la torpeur dans laquelle elle plonge.
Rien n'y fait, elle part et continue à partir, elle se fait de plus en plus lourde.
Philippe a du mal à la tenir, pourtant il la porte de toutes ses forces.
Les premiers clients du magasin qui l'ont dépassé n'ont pas remarqué...mais les suivants comprennent, l'aident, un vendeur approche une chaise pour asseoir Geneviève qui est devenue pâle, blanche.
Les secondes passent vite et lentement à la fois.
Geneviève revient à elle, regarde Philippe et demande :
- Qui êtes vous ? où suis-je ? Qu'est ce que je fais ici ?
Tout le monde autour d'elle la regarde curieusement.
Personne ne lui répond.
Elle regarde fixement Philippe et redemande :
- Qu'est ce que je fais ici ?
- Geneviève ? Geneviève ! tout va bien, c'est moi Philippe, ton mari, nous sommes au magasin, nous sommes venus acheter le lit pour Lucas, tu te souviens ? Tout va bien maintenant, tout va aller, c'est bon. Tu as eu un malaise.
- Mais qu'est ce que vous racontez enfin ? je ne vous connais pas ! Geneviève lui lache le bras, elle bouge comme pour se lever mais n'y parvient pas, la tête lui tourne à nouveau.
Le vendeur propose à Philippe d'appeler les urgences, les pompiers, un médecin. Philippe accepte, c'est lui qui plie maintenant sous le poids de ce qui arrive à sa femme si soudainement. Il ne comprend pas mais il sent, il pressent que quelque chose de grave vient d'arriver. Il a peur que tout soit subitement remis en question....
Geneviève revient à elle, redemande ce qui lui arrive, on lui explique, tout le monde se détend.
On attend les urgences tout de même pour en avoir le coeur net...
Quelques heures plus tard, à l'hopital, la nouvelle arrive, enfin et en fin.
Suite au malaise de Geneviève, on lui a fait passer tous les examens possibles pour comprendre et savoir ce qui s'est passé.
Le diagnostic est terrible et tombe comme un couperet de guillotine.
Le passé n'a plus d'importance, il s'effacera de plus en vite au fur et à mesure qu'il s'écoulera. Ce qui compte désormais, c'est comment vivre le présent, comment ne pas redouter l'avenir.
Il y a maintenant entre Geneviève et Philippe, quelque chose qui entrave leur vie, qui ne les laissera plus en paix...Alzheimer, ce terrible compagnon qui ne lâche plus sa proie quand il en tient une.
Il était une première fois heureuse dont ils auraient voulu se souvenir toujours, mais finalement, ils n'ont pas acheté ce lit d'enfant.
Il était une première fois malheureuse qu'ils voudraient oublier, mais elle obsède celui qui tombe petit à petit dans le regret et s'acroche à sa mémoire pour deux, pendant que l'autre a le regard absent de plus en plus souvent.
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